« Presqu'île de Caen : le naufrage » : différence entre les versions
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Le Boëdic est un ancien chalutier de la marine marchande. Construit en 1966, à Brest, par le chantier naval Glehen, il est long de 24 mètres, large de 6 mètres, il a une coque en chêne et une structure en acier. Il est alors baptisé le Bagad, du nom d'un groupe breton. Pendant une vingtaine d'années, le Bagad transporte des passagers pour la transrade de Brest et entre la ville, l'île d'Ouessant et Le Conquet. Dans les années 1980-1990, le bateau est racheté par la Compagnie des Îles et promène les gens dans le golfe du Morbihan. De cette période, il a gardé son nouveau nom, emprunté à l'île de Boëdic. <br> | Le Boëdic est un ancien chalutier de la marine marchande. Construit en 1966, à Brest, par le chantier naval Glehen, il est long de 24 mètres, large de 6 mètres, il a une coque en chêne et une structure en acier. Il est alors baptisé le Bagad, du nom d'un groupe breton. Pendant une vingtaine d'années, le Bagad transporte des passagers pour la transrade de Brest et entre la ville, l'île d'Ouessant et Le Conquet. Dans les années 1980-1990, le bateau est racheté par la Compagnie des Îles et promène les gens dans le golfe du Morbihan. De cette période, il a gardé son nouveau nom, emprunté à l'île de Boëdic. <br> | ||
Version du 4 novembre 2019 à 10:59
auteurs : Ninon Dorino, Zoé Le Roi, Aude Jourdain, Marie Humbert, Bertille Raou-Bouvier

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !
Rimbaud - Le bateau ivre
Le naufrage
Le Boëdic est un ancien chalutier de la marine marchande. Construit en 1966, à Brest, par le chantier naval Glehen, il est long de 24 mètres, large de 6 mètres, il a une coque en chêne et une structure en acier. Il est alors baptisé le Bagad, du nom d'un groupe breton. Pendant une vingtaine d'années, le Bagad transporte des passagers pour la transrade de Brest et entre la ville, l'île d'Ouessant et Le Conquet. Dans les années 1980-1990, le bateau est racheté par la Compagnie des Îles et promène les gens dans le golfe du Morbihan. De cette période, il a gardé son nouveau nom, emprunté à l'île de Boëdic.
"Débaptiser un bateau porte malheur".
Il y a quatorze ans, le Boëdic arriva à Caen sous les couleurs des Vedettes de Normandie. Depuis, il avait parcouru chaque saison les 14 km qui sépare Caen de Ouistreham. Et chaque samedi, en juillet et en août, il partait pour la Côte fleurie, où il retrouvait la mer.
Eric Hébrard emmènait les touristes à la découverte du canal de l'Orne, plus connu pour sa voie verte menant à la mer que son histoire. "Le canal a pourtant tenu une place centrale dans l'évolution de Caen" et le capitaine tentait avec ardeur de narrer son histoire aux touristes.
Inactif depuis 2013, le 25 août 2015, la catastrophe arriva : le Boëdic coula au fond du canal. Un important dispositif se déploya autour de l’épave pour contenir la pollution dû à la diffusion des hydrocarbures. Suite à ce naufrage, Eric disparu dans la nature et laissa le Boëdic seul dans les tréfonds caennais. En 2017, le port normand associé engagea le chantier de renflouement du navire en le sortant du canal et le posant sur le quai Qaston-Lamy. Cette opération fut chiffré à 60 000 €.

“Aliquid stat pro aliquo” : une chose tient lieu d’une autre
Dans la littérature, le naufrage est la ligne de partage entre un bateau maîtrisé et les vagues incontrôlées, entre le réel et le rêve, entre l’histoire et la nature, entre le projet humain et un destin qui le dépasse, entre la force de l’homme et celle de la nature, entre la puissance dominatrice de la technique et la revanche des forces naturelles.
Le naufrage, c’est “une ruine totale et complète”, un échec, une déroute.
Le naufrage, c’est l’interrogation de traversées qui placent l’altérité au pourtour de ce qui croit en son centre.
Au cœur de ce naufrage, la vedette Le Boëdic, qui, le 25 août 2015, sombre dans le bassin de Calix. Ici [coordonnées géographiques : 49.183330, -0.340269]
La ruine, c’est l’après-naufrage. C’est ce qui reste. C’est l’épave, le débris, le résidu, le vestige.
Posé sur le bitume, Le Boëdic, hors de sa fonction première, hors de lui-même, paraît ruine. Une ruine mélancolique, sublime et romantique, qui vient contraster avec le décor qui s’annonce derrière, autour, à côté, a visu. D’autres ruines, créées par des phénomènes destructeurs actuels plus violents, soudains, radicaux. Un paysage urbain déstructuré, composé de zones de stockage, d’entrepôts, de matériaux, de déchets.
Nous sommes passés du temps des ruines au “temps en ruine”, écrit Marc Augé. En anthropologie, l’objet de délectation archéologique qu’est la ruine devient l’emblème ou l’allégorie, dirait Walter Benjamin, de la conscience moderne face au temps et à l’histoire.
Face “à la beauté de qui s’écroule plutôt qu’à l’ampleur de ce qui s’annonce”.
Il ressort de cette construction fragmentaire que la relation entre passé, présent, futur est au coeur de la problématique des ruines.
Une problématique que l’on retrouve particulièrement dans le paysage de la Presqu’Île, au sein duquel la puissance de l’homme semble être devenue “une puissance géologique” plus grande que la puissance de la nature, qui, bien que restée libre, est ici polluée, contaminée, souillée.
Pourtant, il apparaît que cet espace soit d’une utilité précise : en devenant l’arrière-ville de Caen, il devient l’entrepôt de ce qui ne peut et ne doit pas être vu. Du sale, de l’inutile, du moche, du pestilentiel voire du pestiféré. Il n’y a en effet rien d’anodin à ce que les catégories de personnes les plus précarisées, ou aux situations les plus précarisantes (prostitué·es, migrant·es, sans-papiers) se retrouvent reléguées dans cet espace. “Habiter” la Presqu’île semble décrit à partir des risques et des nuisances, des peurs et de l’absence de reconnaissance des populations existantes. S’intéresser à l’interface ville-arrière ville comme territoire vécu donne à voir des quartiers qui vivent au rythme de décisions ou de grands projets dont les populations résidentes sont déconnectées. Des dynamiques qui se donnent à voir dans les revendications et les luttes urbaines de la Presqu’Île : les squats, les graffs mais aussi les associations présentes sont la preuve d’une bataille qui se mène déjà.
C’est en cela, donc, que Le Boëdic semble symboliser le territoire de la Presqu’île. Véritable “ruine contemporaine”, il est moins monument ou paysage qu’un contexte persistant. Il renvoie à l’eau qui fait partie intégrante du territoire de la Presqu’île ainsi qu’au passé industrialo-portuaire de la ville, et dépasse le territoire en lui-même en renvoyant à un héritage, un présent et un avenir. De même, il peut se poser comme l’allégorie de la volonté des pouvoirs publics la ville de Caen, qui semblent s’efforcer de “tout raser pour tout reconstruire”. Gros parallèle avec le statut de Caen de ville reconstruite, 1944 rasé par la guerre vestige des bombardement, 2000 presqu'île déserté du faites de la production mondialisé et de la délocalisation (exemple les machines de la SMN sont parties pour être utilisées dans la production chinoise), alors que Caen était en 1944 le vestige des bombardement, en 2019 la presqu'île est le vestige du libéralisme. Et en même temps bah le bateau il a était abandonné pour des raisons économique le cas a investi puis s’est barré.
En cela, notre démarche tendrait à questionner les temporalités et les vécus, en démontrant que la ruine n’est pas une fin en soi, et que “c’est l’invention qui compte, même si elle est soumise à de terribles pressions et à des effets de dominations qui en menacent l’existence”.
L’enjeu pourrait être celui de souligner ce que possède ce territoire qu’est la Presqu’Île, et de venir presque prouver que cela n’exige pas plus d’aménagements. Notre réflexion s’aligne sur la stratégie identitaire affirmée par CaenPresqu’île, qui assure au sein du plan guide, que la Presqu’île n’est pas un terrain vierge, mais qu’il possède une histoire qui est “à valoriser afin que le projet s’inscrive dans sa continuité logique et ainsi pour favoriser l’appropriation du site par les habitants et les usagers”.
Dès lors, nous pensons qu’une approche sensible et un questionnement autour des différents usages possibles des lieux par les citoyens de Caen serait une bonne manière d’appréhender le futur de ces espaces au sein des projets urbanistiques de la Presqu’île. Notre « projet » est donc un parti pris contre la destruction et pour l’urbanisme transitoire car ce dernier offre une valeur d’usage aux bâtiments inutilisés et/ou aux espaces vacants. Il permet également d’introduire la notion d’occupation temporaire, l’occasion d’ouvrir les espaces aux habitants de la ville afin qu’ils puissent imaginer, construire et vivre ces espaces afin d’en définir les usages.
Assurément tous les bâtiments sont voués, un jour ou l’autre, à s’effondrer, mais paradoxalement rien ne semble durer plus longtemps qu’une ruine, rien ne paraît plus solide., écrit Marc Augé.
La fiction pour interroger le réel
Le texte qui suit n'est pas vrai.
La vérité, d'ailleurs, n'est pas à prendre pour argent comptant.
Dans le texte, il y a un bateau.
Nous, nous ne sommes qu'un, peut être même plus.
Nous n'étions qu'un, peut être même plus.
Il y avait ce bateau, donc, et puisque nous n'étions qu'un, peut être même plus, nous avons cherché la rive.
Un là-bas. Un début d'aileurs. Pas tout à fait ici.
Pas très loin. Pas tout près.
Parce que nous étions peut être plus qu'un, nous sommes parti la nuit.
Par la nuit.
Dans la nuit.
Pour ne pas être vu·es, ou pour ne pas se voir, ou pour pouvoir s'entendre pour une fois.
Cesser le brouhaha le capharnaüm le bordel le putain de bordel de merde.
Trouver rive à son pied. Jouer à cache-cache avec la pluie. Inventer le jour.
Trouver la rive.
Par hasard, par chance, par déduction, par contrainte, par surprise, par désir, par naufrage.
Par la force des choses.
Cartes
Glossaire : retour aux sources
Bateau :
Bâtiment destiné à la navigation sur les surface maritime fleuves et canaux mer océan.
Espace :
En géographie, un espace est un espace social, produit par des groupes humains qui l’organisent et le mettent en valeur pour répondre à des objectifs fondamentaux : appropriation, habitat, échanges, communication et exploitation.
Espace vécu :
L’espace des pratiques quotidiennes et des interactions sociales : il participe à la représentation collective d’un espace.
Délaissés urbains :
Dépourvus d’usages officiels, ce sont des lieux transitoires, présentant, du fait d’une gestion irrégulière, une végétation spontanée. Ils sont l’objet de représentations individuelles et sociales négativement connotés.
Lieu :
N’a pas d’étendue ou une étendue limitée. On le parcourt à pied et on peut l’embrasser du regard, on y a agit et on le fréquente. Il peut être chargé d’une signification forte et a charge symbolique peut dépasser sa réalité complexe : c’est ce que désigne le “Haut-lieu”, un géo-symbole définit par les pratiques et valeurs collectives.
Naufrage :
Sens 1 : Perte d’un bateau en mer.
Sens 2 : Ruine totale et complète.
Ruine :
Processus de dégradation, d’écroulement d’une construction, pouvant aboutir à sa destruction complète ; état d’un bâtiment qui se délabre, s’écroule.
Édifice détruit, délabré, écroulé.
Désagrégation, destruction progressive de quelque chose, qui aboutit à sa disparition, à sa perte.
Cause de l’anéantissement, de la perte, de la disparition de quelque chose.
Stockage :
Action de stocker, de conserver un produit en attente, en vrac ou en charge unitaire ; fait d’être stocké.
Syn. Archivage : Ensemble des documents hors d’usage courant concernant l’histoire d’une collectivité, d’une famille ou d’un individu.
Symbole :
Une matérialité qui porte en elle l’immatériel, une chose visible qui montre l’invisible.
Temporalité :
Caractère de ce qui se déroule dans le temps.
Territoire :
Implique la notion de “vécu” , c’est un espace délimité, approprié par un individu ou une communauté. La territorialisation implique une appropriation économique, juridique et symboliques. Le territoire possède donc des limites établies soit par un groupe soit par une entité supérieure.
Trace :
Entre la menace de l’effacement et l’insistance de l’ineffaçable.
Références
- Marc Augé
- Robert Smithson
- Poirier
- Rachel Whiteread
- Cyprien Gaillard
- Georges Simmel
- Gordon Mata Clark
- Giorgio De Chirico
- René Magritte
- Georges Bataille
- Marcel Duchamp
- Walter Benjamin
- J. G. Ballard
