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Presqu'île de Caen : Brume
La brume opaque | Parole
Un lieu est une spatialité considéré du point de vue de son affectation, ou de ce qui s'y passe. La pointe de la presqu'île s'est toujours exposé au regard des caennais, blotti derrière l'Orne, visible depuis les quais et les rives. Mais elle n'était pas nue face à ce regard lointain : c'était un lieu de recoins, de chemins, de passage, de squat. Il émanait une vibration, née du mouvement de silhouettes qui s'y glissaient, ou des murmures et rumeurs dont il faisait l'objet. Dans la phrase urbaine, Jean-Christophe Bailly distingue dans la ville le discours - la vision politique et l'intention derrière la fabrication de l'urbain - et la parole, qui regroupe toutes les paroles que la ville porte en son sein. La pointe de la presqu'île est alors un espace qui parle.


La presqu'île entretient un rapport étroit avec l'eau. Elle est couvée par deux bras de l'Orne. On l'observe de lintérieur ou de lextérieur, comme un interstice entre deux étendues aquatiques, un océan qui fait dialoguer la contemplation avec l'immersion, une fois que l'on est passé de l'autre côté. On ne peut qu'imaginer la profondeur de la mer, le fourmillement de vies qu'il abrite. On ne peut s'y immerger que temporairement, puisque ceux qui l'habitent sont les seuls à pouvoir y respirer, y vivre. A l'intérieur de ces baraques désaffectées vivaient des migrants, des sans domiciles, des marginaux. Un véritable écosystème s'y était développé, à l'abri des regards. Le lieu était fermé. Pas une fermeture qui enferme, mais qui protège, dissimule, cultive un dedans et un dehors.
Quand tout à coup l'ouverture.
La brume se lève | Discours
La médiathèque se lève, un monument architectural qui prend forme selon des points de vues, des axes de vision. La pointe de la presqu'île devient un espace qui s'ouvre, notamment par l'apparition de cette grande pelouse qui s'impose comme une architecture plate, un laisser aller philosophique et visuel. On passe dans l'univers du discours, de l'aménagement, de l'urbanité. Le béton et la brique opaques laissent place au verre et à la transparence. Le monde du squat, du caché, du sinueux connait un bouleversement : des lignes se dessinent, le squelette se dénude, et tout à coup, en la regardant, on la comprend. L'espace discours desormais dans un langage commun, qui ne nécessite ni traduction, ni proximité.



Que reste-il de la spontanéité ? La fermeture éclair, cet ancienne friche urbaine reconverti en centre culturel disparait pour laisser place à de nouveaux bâtiments, de nouveaux usages. La fin d'un urbanisme temporaire, l'histoire de la pointe est arrivé au bas de page et la page se tourne pour raconter un nouveau chapitre. L'eau reste. Ce n'est plus une eau profonde, opaque et agitée, mais un cours d'eau clair, qui réfléchit la lumière, s'expose.
Quand tout à coup l'incendie.
Une fumée s'élève | Silence
Samedi 23 septembre 2017, un bâtiment désaffecté abritant une centaine de migrants brûle. La parole, l’écho disparait dans les flammes : si certains vont se réfugier dans une salle des fêtes à Mondeville, c'est la quasi-totalité des jeunes migrants qui s'échappent et deviennent hors de portée.

Après le feu, l'évaporation ? Est-ce que des êtres, des vécus et des expériences peuvent vraiment disparaître ? Ou reste-il nécessairement des traces, des cendres, un écho, des murmures ?
Ce qui reste | Murmures
Nous sommes allés déambuler sur cette pointe de la presqu'île, afin de ressentir une ambiance, identifier des traces, des résidus de spontanéités que nous avons surnommés "murmures". Ce serait une sorte d'artéfact discret qui relate une présence, une vie, sans parvenir à l'identifier ou la comprendre. Comme des traces de graffitis sur des cubes en béton, qui rappellent les tags présents sur les anciens squat et la fermeture éclair.

Comment entendre ces murmures ? Comment les collecter ? Et doit on les diffuser, ou "faire murmurer"? Quelle est notre posture : l'oreille ou la bouche ? Un murmure est un matériau sourd, confus, éphémère. Pour autant, pendant le laps de temps dans lequel il existe, on cherche à le capter, le rendre intelligible. Lorsqu'il surgit du silence, il détonne. Surtout, il transporte une émotion, par sa tonalité, le tremblement de la voix, le rythme, la diction.
Nous avons exploré des formes, qui pourraient apparaitre et disparaitre dans l'espace et délivrer une expérience sensible. Ces formes s'inspirent d'habitats spontanés, ou de références géométriques à la sinuosité et l'opacité de l'ancienne pointe de la presqu'île.











Au delà des formes, ces structures entreront en interaction avec ceux qui souhaitent les explorer, les rendre intelligible, les écouter. Que ce soit par des couleurs, des enregistrements audios, des murmures témoignant de la vie de la presqu'île avant les aménagements, le bruit des vagues. Parfois, de la brume artificielle, des spots de lumière douces, étouffées. Elles proposent des discontinuités temporelles pour faire écho. Le soir, elles diffuseront le bruit du matin. Un jour de soleil, elles diffuseront un bruit de pluie. Parfois, elles apparaitront le temps d'une après-midi et "s'évaporeront", ou se feront remplacer par une autre.


